Vue panoramique du fort d’Ambohimarina
Cette gravure représentant le village de garnison sur le plateau supérieur, vue depuis le piton sommital.
On distingue nettement la ligne de bord du plateau d’Ambohimarina. A l’arrière plan, la vallée de Mahagaga
Situé au sud de la Montagne des Français, face au mont Reynaud à l’Est (Mont Carré) et au-dessus de l’actuel village de Mahagaga, le Fort d’Ambohimarina était le symbole de la domination Merina (habitants des hauts-plateaux) sur le reste de Madagascar -en l’occurrence le Nord.
Sa position stratégique lui permettait de dominer toute la région et il accueillait une garnison comprenant jusqu’à 2000 hommes. Au cours de la conquête du pays par les Français, en 1895, ceux-ci le bombardèrent depuis la mer et en prirent possession ensuite sans combat, la garnison ayant fui sans demander son reste.
Après une marche d’approche d’une heure depuis Mahagaga dont la principale difficulté réside dans la montée sur la falaise, le plateau offre un paysage saisissant avec des formes d’érosion très marquées. Du fort lui même, il ne reste que très peu de traces visibles -particulièrement pendant la saison des pluies où la végétation se fait envahissante.
Les restes d’une tour occupent le sommet d’un petit piton, et plusieurs murs se distinguent à travers la broussaille en contrebas, sur un petit plateau, et laissent penser que c’est tout un village qui dort et attend d’être dégagé pour prendre l’aspect d’un véritable petit « Machu Pichu ».
Gravure montrant le fort d’Ambohimarina
Histoire
En 1823, le roi Radama 1er envahit le Nord de Madagascar. Le plus puissant souverain de la région, le roi Antankarana Tsialana, pris dans des conflits de souveraineté, est obligé de se soumettre. Pour assurer leur mainmise sur la région, les Merina créent un poste près de Vohemar, puis, en 1828 ils construisent le fort d’Ambohimarina, au sommet de la Montagne des Français, sur le promontoire qui fait face au Mont Reynaud. Ce fort deviendra le siège du gouvernement d’Antomboko.
L’accès au trône de Tsimiaro, qui succède à Tsialana, va ouvrir une période d’affrontements incessants entre les forces merina d’Antomboko et les Antankarana. Ces conflits conduiront Tsimiaro à chercher des alliances étrangères, notamment auprès des Français.
Le fort d’Ambohimarina
Les échelles en 1890
Laissons parler le Dr Guinet qui y fit plusieurs séjours en entre 1853 et 1860 : « Le fort hova est établi sur une montagne parallèle au morne carré qui sert de point de repère aux navires qui suivent la côte ; il est très élevé, et repose dans une espèce de marne blanche qui fatigue les yeux. Il est composé d’une triple enceinte comme tous les forts hovas; mais le réduit est placé sous le sommet de la montagne dont on a rendu l’escalade très difficile pour les assiégeants. Ce fort, défendu naturellement, est néanmoins le plus difficile à gravir de tous ceux que j’ai vus. Il est protégé presque tout autour par des murailles naturelles à pic, et, sauf la crête de la montagne qui présente un chemin plat, on ne peut y arriver que par des rampes très difficiles à franchir. Du fort, on distingue le port Rigny au nord ; il n’est séparé de la baie d’Ambodivahibe que par une langue de terre d’un demi-mille à sa base. L’échancrure qu’il fait dans les terres forme avec la baie d’Ambodivahibe une presqu’île dans la façade qui regarde la mer au large, à environ 4 milles sur cinq de profondeur. Du plateau du Fort on voit les montagnes qui forment le côté nord de la baie de Diego-Suarez. Il faut encore 4 heures à un courrier pour se rendre du Fort à la baie des Français à Diego Suarez » (Rapport Guinet du 15 juillet 1853).
Ratovello, gouverneur des Antakarana
« Le fort d’Antomboukou, appelé par les hovas Vohimare, est situé sur une montagne de la chaîne d’Antsingy (montagne des français). Il est placé à environ 6 milles du rivage, et à 1500 m environ à l’ouest du morne carré dont il est séparé par une seule vallée ; son attitude, que j’ai mesurée à l’aide d’un baromètre ... m’a donné 450 m au-dessus du niveau de la mer.
Le mot Antsingy veut dire escarpé ; c’est positivement à cause des difficultés et des escarpements dont cette chaîne de montagnes était hérissée que les hovas l’ont choisie pour y bâtir leur fort. Il est établi sur un piton marneux élevé lui-même sur le sommet de la montagne qui sert de base ; sur la façade ouest du mamelon, au-dessous du fort, se trouve une espèce d’esplanade qui a valu à la montagne le nom de Vohimare (montagne plate). C’est sur cette esplanade qu’est établi le village sakalava.
On n’arrive au sommet de la montagne qu’avec des difficultés et beaucoup de fatigue ; il faut, pour y parvenir, suivre la crête des contreforts de la montagne qui servent de route à l’est nord-ouest ; et si on veut se diriger par le Nord , il faut se résigner à passer dans des défilés très dangereux » (Rapport Guinet du 23 mars 1864).
« Ce poste d’Ambohimarina […]est un camp hova, perché comme un nid d’aigle au sommet d’une falaise, où l’on ne peut avoir accès que par des échelles, faciles à retirer à l’occasion ». (C.Vray – Mes campagnes, par une femme ).
En fait, le fort est beaucoup moins inaccessible qu’il y paraît si l’on en croit le témoignage d’un habitant de Diego Suarez, paru dans l’Illustration de 1890 :
« On y accède par une route assez facile qui serpente au milieu du massif de la montagne des Français,[…] mais les Hovas admettent que nous ne connaissons pas d’autre route qu’un sentier suspendu au flanc des précipices et aboutissant à un escarpement où il faut se servir d’une échelle. […]C’est par la route de l’échelle que se font les visites officielles ».
La vie à Ambohimarina
La population :
Elle se compose des gouverneurs (qui sont généralement des officiers de haut rang, appartenant parfois à la famille royale de Tananarive) et de leur famille, des fonctionnaires royaux, des officiers et des militaires. Au-dessous se trouvent les andevo (esclaves) ; Près du fort, comme nous l’a dit le Dr Guinet se trouve le village « sakalava » . Le chiffre des habitants d’Ambohimarina a varié selon les époques mais, à certains moments, il a atteint le chiffre de 2000.
De quoi vivent-ils ?
Dans une première période, les militaires merina d’Ambohimarina sont plus ou moins délaissés : en effet cette province lointaine n’a ni intérêt économique ni intérêt stratégique. Le Premier Ministre Rainilaiarivony parle d’une « région pierreuse et inculte ». Ils disposent de canons et de fusils mais manquent souvent de munitions.
La majeure partie des ressources d’Antomboka provient des douanes : or, les quelques boutres qui font escale dans la baie d’Ambodivahibe ne rapportent pratiquement rien. Les maigres ressources sont confisquées par les officiers de sorte que les fonctionnaires ne sont pas payés. Ils doivent donc tirer leurs revenus de trafics divers et d’exactions vis-à-vis de la population. Quant aux soldats ils n’ont « même pas de quoi se vêtir » (Rapport de 1857).
Pour son approvisionnement, le fort dépend de la région avoisinante : or, les attaques des troupes de Tsimiaro qui mettent le feu aux récoltes acculent la garnison à la famine. Guinet raconte qu’en 1854 la garnison d’Amtomboka fut attaquée par les Antankarana et que, de 700 hommes, il n’en est pas resté 80, plus de 600 ayant été tués ou étant morts de faim. En temps normal, l’essentiel de leurs ressources en vivres est fourni par les cultures avoisinantes et par des centaines de boeufs …quand ceux-ci ne sont pas capturés par leurs assaillants !
Cependant, l’affrontement avec les français à partir de 1883, puis leur installation à Diego Suarez en 1885 font prendre conscience de l’importance de cette région au gouvernement de la Reine.
Commence alors une seconde période où, sur ordre de Tananarive, les officiers sont appelés à apaiser les tensions avec la population locale.
Des officiers de haut rang sont nommés pour diriger le Nord, on demande la suppression des abus de l’administration : exploitation, escroqueries, taxes excessives, charges , usure…
Ambohimarina vue du village de Mahagaga
Une tourelle occupait le piton sommital . Un village de garnison qui accueillait 2 000 soldats et leurs familles était bâti en contrebas sur le plateau supérieur. Le fort était ravitaillé par des bateaux en provenance de Vohémar qui accostaient en Baie d’Ambodivahibe . L’accès par l’Est, depuis la Baie d’Ambodivahibe se faisait par une bonne piste en pente douce. L’accès par l’Est et la vallée de Mahagaga était beaucoup plus périlleux en raison des falaises qui bordent le plateau et nécessitaient l’emploi d’echelles ou d’escaliers.
La vie quotidienne à Ambohimarina
Elle ressemble, en fait, à la vie dans une petite ville des hauts-plateaux. On y trouve un temple, une école, le palais du gouverneur,des maisons en bois à varangue…
Les officiers et leurs femmes s’habillent comme à la cour de Ranavalona : redingote et canne pour les messieurs, robe blanche pour les dames. « L’intérieur du Fort est assez vaste, et de grandes cases y sont bâties. Sous leur varangue, assises par terre, se tenaient les femmes des officiers, toutes proprement et uniformément habillées de robes blanches » (Gunst).
On parle de sa province lointaine, on se rend visite, on donne des fêtes, des bals, on enterre ses morts de façon traditionnelle. Dans la demeure du commandant, le « lapa » (palais) les invités sont accueillis dans « une salle énorme où 500 personnes pourraient trouver place » (Rapport du Dr Gunst).
Des bals y sont parfois donnés : « Le commandant donna le signal, et, aussitôt, au son des tambours et des violons, plus de 200 couples se mirent à tourner en tous sens mais d’une façon régulière et avec mesure » (Gunst).
On respecte scrupuleusement les fêtes nationales, notamment la Fête du Bain de la Reine qui donnera lieu à un des plus sérieux différends entre merina et français.
La vie est, bien sûr, moins facile pour les militaires, non payés, qui doivent trouver à se nourrir. Elle l’est encore moins pour les « sakalava » du village, soumis à la corvée, aux réquisitions, et qui – en gros – doivent faire vivre la garnison.
Tout va changer avec l’installation officielle des français à Diego Suarez.
Le 12 avril 1895, les troupes françaises (dont un bataillon de volontaires de La Réunion) enlèvent le fort d’Ambohimarina, à peu près déserté par ses occupants. Un poste optique est installé mais le fort sombre peu à peu dans l’oubli et disparait sous la végétation.
Visite
- Le plateau d’Ambohimarina fait désormais partie intégrante de la Nouvelle Aire Protégée Ambohitr’Antsingy et l’accès est réglementé. Il est conseillé de s’adresser à la mairie du village de Mahagaga pour prendre un guide accrédité.
- Deux itinéraires sont possibles : le « grand tour », en accédant au plateau par le nord (B), suppose une bonne condition physique. Compter en effet trois bonnes heures de marche sous le soleil et la réverbération intense des argiles blanches qui affleurent sur le plateau. La récompense est à la hauteur de l’effort : tombeaux anciens, zone d’érosion ôcre spectaculaires, avant d’arriver au plateau du fort puis descente par les escaliers.
- Il est possible de monter directement au fort en passant par les escaliers au sud du plateau.
- Prévoir chapeaux, lunettes de soleil, protection anti-UV et une bonne provision d’eau faute de quoi le soleil peut réserver de mauvaises surprises.