Le front de terre

Le rôle d’un front de terre tel que celui de Diego Suarez est défini par l’Instruction du 4 décembre 1897 comme le devoir de :
« 1°)- Mettre à l’abri d’un bombardement la ville d’Antsirane et les établissements de la Marine.
2°)- Protéger les batteries de Côte contre les attaques d’un ennemi qui aurait débarqué, soit sur la côte Ouest, où la mer est toujours calme (baie du Courier, d’Ambararata, de Befotaka, etc.) soit sur la côte Est (Baies de Rigny et d’Ambodivahibe). »

Dès son arrivée à Diego Suarez, le général Joffre s’oppose à tous les projets antérieurs d’organisation défensive. Ces plans étendaient beaucoup trop les positions à occuper par la défense fixe du côté de terre et auraient conduit à « donner à la Place [de Diego Suarez] une garnison que les ressources budgétaires ne permettaient pas d’y entretenir ». Le programme d’organisation défensive a donc été établi sur ce principe que le périmètre à occuper par la fortification devait être réduit au minimum de manière à réduire autant que possible le chiffre de la garnison.

Une défense centrée sur lintérieur de la Baie

La solution retenue consista à barrer par des fortifications les quatre presqu’îles d’Orangea, de Vatomainty, d’Antsiranana et de Cap Diego qui contenaient toutes les batteries de côte du point d’appui, la ville et les établissements de la Marine. Il fut ainsi constitué quatre petites places « ayant un périmètre défensif minimum, ne pouvant être tournées puisqu’appuyées à la mer, communiquant facilement entre elles par la rade intérieure et dont la défense peut également être appuyée par des bâtiments légers se trouvant rade ».
Chacun de ces petites place fut ainsi organisée d’après les principes admis en France à cette époque pour l’organisation d’un secteur de place forte. Des reconnaissances exécutées dans les environs de Diego Suarez avaient permis de constater qu’il était possible à l’ennemi d’amener devant la Place de l’artillerie de siège et qu’il était par suite nécessaire de construire des ouvrages pouvant résister à cette artillerie. « Organisés pour résister à un tir de siège réglé et soutenu, il est permis d’espérer qu’ils résisteraient aux coups isolés des navires ennemis ».

Le système « Sérré de Rivières »

La doctrine alors en vigueur avait été énoncée par le Général Sérré de Rivières qui avait adapté les principes élaborés par Vauban aux enseignements du désastre de la guerre de 1870 contre la Prusse. Pour l’essentiel, cette doctrine prenait acte des progrès considérables de l’artillerie, en portée et en puissance, et renvoyait la défense des places à un rideau d’ouvrages défensifs se protégeant mutuellement placé à plusieurs kilomètres en avant des zones à défendre pour les maintenir à l’abri des bombardements. Chaque secteur de défense comprenait une position principale et une position avancée. Les ouvrages défensifs étaient constitués de forts abritant une casemate d’artillerie (casemate dite « de Bourges ») et des positions pour des batteries de campagnes. L’intervalle entre les forts était habituellement complété par un réseau de tranchées et de barbelés, puis, avec l’apparition des blindés, d’un fossé et d’obstacles antichars.
La guerre russo-japonaise qui avait vu le concours de forces terrestres débarquées avec celles de la Marine, confirmait la pertinence de cette doctrine. L’opération Ironclad, en 1942, allait cependant en montrer l’obsolescence qui ne prévoyait notamment pas le rôle fondamental joué par l’aviation pendant la seconde guerre mondiale.

Front de terre dAnkorika

L’instruction du 4 décembre 1897 prévoyait que « les formes du terrain environnant la Place sont l’élément essentiel de la détermination des emplacements fortifiés ». Or, dans la presqu’île d’Orangea, il n’existe que deux coupures nettes et naturelles du terrain : les vallées d’Ambararata et la vallée du Manantanana. La première fut utilisée comme position principale, la seconde comme position avancée.

Position avancée
Elle est située à environ deux kilomètres de la position principale. Elle utilise une série de points d’appui naturels constituée de boqueteaux et de légères ondulations de terrain. Elle s’appuie à gauche à la mer, à droite à la Montagne des Français. Les deux canons de montagne affectés à l’ouvrage d’Anosiravo auraient en cas d’attaque étés transportés à bras par la garnison sur un emplacement de batterie situé sur une position inaccessible pour l’ennemi et d’où les vues s’étendent au loin sur la vallée du Manantanana. Hormis l’ouvrage d’Anosiravo, il n’en reste quasi plus de traces.

Position principale
Cette position comprends :
- Aux ailes deux ouvrages fortifiés (D et E) placés sur les deux points saillants de la ligne : le sommet sud des hauteurs d’Ankorika (un ancien cratère volcanique) et le Mamelon Vert, qui domine la baie des Sakalava. Ces deux ouvrages se flanquent mutuellement à l’aide de leurs canons de 95.
- En arrière de la ligne, sur une position dominante, une batterie de sureté de 155 Long (Batterie du Champ de Tir) permet de battre sur une longue distance les positions d’artillerie de gros calibre que pourrait occuper l’ennemi pour contrebattre les ouvrages D et E.
- Dans les intervalles, une ligne presque continue de tranchées épouse les formes du terrain. Le réseau est constitué d’une tranchée au profil dit « tranchée abri renforcée » (1,60 m de profondeur et 3 m d’épaisseur de parapet). En avant de ces tranchées, une ligne de défense accessoire est constituée par des cactus. Ces défenses sont placées « dans les couverts naturels du terrain où l’assaillant pourrait se mettre à l’abri des vues et des coups des défenseurs ». Les cactus offrent en effet une défense formidable une fois qu’ils ont poussé, et remplacent avantageusement et à moindre coût les rouleaux de fils de fer barbelés dont la corrosion est très rapide dans l’air marin de la presqu’île d’Orangea. Plantés en 1903, on les retrouve encore en de nombreux endroits, même si leur implantation se révéla plus ardue que prévu : « ces plantations doivent être l’objet de beaucoup de soins, car le terrain n’est pas très favorable et les herbes, les feux de brousses et les troupeaux de bœufs les empêchent de pousser rapidement ».
- Un magasin de secteur relié à celui du front de mer (Magasin à munitions souterrain) par une voie de 60.

Front de terre de Vatomainty

La falaise de Vatomainty est reliée à la presqu’île d’Anosirabe par un isthme bas, entièrement découvert, bordés de palétuviers et de plages de vase ou de galets. La largeur minima près du Cap est de 190 mètres avec une altitude de 9 mètres à la crète.
Le Général Joffre a estimé qu’une petite garnison d’une cinquantaine d’hommes armés de deux mitrailleuses était suffisante pour défendre ce front. Elle serait en cas d’attaque appuyée par des canons de 75 en position sur les hauteurs de Cap Diego, et par des troupes qu’il serait facile de débarquer sur les derrières de l’ennemi ou par des bâtiments légers.
La garnison était cantonnée dans un baraquement construit à proximité de l’entrée du complexe souterrain de la batterie.

Front de terre de Cap Diego

L’organisation du front de terre de Cap Diego fut longuement débattue. Alors qu’il aurait pu sembler évident de placer la position principale sur l’isthme d’Andrakaka, très étroit et offrant de bonnes postions d’artillerie sur les hauteurs à ses défenseurs, il fut en effet préféré de l’installer en retrait sur le plateau, beaucoup plus à l’ouest, et ce pour plusieurs raisons :
- les positions sur l’isthme d’Andrakaka auraient été dominées à courte distance par les hauteurs de l’Ambongoabe et du Babaomby-vatobe, éloignées de 5 ou 6 kilomètres seulement et où l’ennemi aurait pu trouver de bonnes positions d’artillerie.
- Des navires embossés dans la Baie des Cailloux auraient facilement pu prendre d’enfilade et à revers ces positions d’une altitude relativement faible tout en ne se tenant exposés qu’au feu de l’unique batterie de Vatomainty.
Au contraire, ces mêmes navires n’auraient pu prendre d’enfilade et à revers la ligne des hauteurs qui dominent le Port de la Nièvre qu’en se plaçant à l’intérieur même de la grande rade, en un point où ils se seraient alors retrouvés sous les feux combinés des batteries de Vatomainty, Cap Diego, et de la Pointe de l’Aigle.
- De petits bâtiments légers n’auraient pu appuyer la défense du front de terre de Cap Diego si ce front avait été placé à l’isthme même d’Andrakaka, ou même un peu en arrière. Par contre, ces même bâtiments auraient pu agir efficacement contre un ennemi qui aurait attaqué la ligne A-B-C telle qu’elle fut organisée.
- La défense de Cap Diego était essentielle principalement parce que l’ennemi, s’il avait pu se rendre maitre de ces hauteurs qui dominent le Port de la Nièvre, aurait ainsi pu bombarder non seulement la ville et toutes les installations portuaires, mais aussi contrebattre l’ouvrage H (Fort d’Anamakia), et prendre en enfilade la ligne de tranchées reliant les ouvrages G et H.
Il était donc rationnel d’occuper ces hauteurs par des ouvrages solides, susceptibles d’une très longue résistance.
La défense du front de terre de Cap Diego fut donc organisée comme suit : une position d’arrêt au milieu de l’isthme d’Andrakaka ; une position avancée sur le haut de la partie ouest du plateau d’Andrakaka ; et la position principale sur les hauteurs à l’est du même plateau.

Isthme dAndraka
L’ennemi qui attaquerait ce secteur se heurterait d’abord à une première position d’arrêt organisée à l’isthme d’Andrakaka. Cet isthme, très resserré, d’une largeur maximum de 800 mètres, peut être barré avec des effectifs très restreints. Cette position était solidement organisée avec une série de petites tranchées placées sur la hauteur située au milieu de l’isthme, appuyée par trois pièces de 75 à tir rapide.
Cette position mettait le secteur de Cap Diego à l’abri d’un coup de main et permettait d’en réduire la garnison au strict nécessaire et de « forcer l’ennemi à dévoiler ses intentions en l’obligeant à faire de grands efforts pour s’en emparer ».

Position avancée
Cette position, organisée à l’extrémité Ouest du plateau d’Andrakaka, était naturellement très forte. Elle battait en effet à bonne distance l’isthme d’Andrakaka et possédait un excellent champ de tir, de bons emplacements pour disposer de l’artillerie de campagne, tout en n’étant pas très étendue. Elle constituait en quelque sorte la défense en arrière de la position de l’isthme d’Andrakaka.

Position principale
La position principale barrait toute la largeur de la partie Est du plateau d’Andraka. Trois ouvrages fortifiés à profil triangulaire type Sérré de Rivière occupaient les points culminants :
- Le Fort des Mapous (ouvrage A), au Sud, non loin de la pointe du même nom, dominait tout le plateau. Il flanquait la droite de l’intervalle A-B avec ses deux canons de 95 sous casemate de Bourges, mais pouvait également disposer de l’artillerie de campagne pour appuyer la batterie des Caïmans et la Ligne Joffre qu’il protégeait d’un tir à revers en enfilade. Cet emplacement stratégique en faisait un point d’attaque tout désigné pour l’ennemi.
- Le Fort du Centre (ouvrage B) flanquait les intervalles A-B et B-C au moyen de deux casemates de Bourges abritant chacune deux canons de 95.
- Le Fort du Cap Bivouac (ouvrage C), au Nord, flanque l’intervalle B-C avec ses deux canons de 95 sous casemate de Bourges.
- Une batterie mobile de 120 devait constituer l’armement de sureté du secteur. L’organisation de la défense se proposait de mettre à profit la mobilité de ces pièces en les transportant au moment du besoin sur des emplacements reconnus et préparés d’où elle auraient pu tirer, soit sur le plateau des Caïmans et la Plaine d’Anamakia pour protéger la droite du front de terre d’Antsiranana, soit sur des navires stationnés dans la Baie de la Nièvre ou la Baie de Cailloux Blancs.
- Un réseau de tranchées fermait les intervalles et se prolongeait des deux côtés jusqu’à la mer. Il était organisé selon les mêmes principes que celui d’Ankorika, avec notamment des plantations de cactus, qui semblent avoir causé de grandes difficultés à leurs « jardiniers » et dont il ne reste guère de traces.
Un magasin de secteur complétait le dispositif, en retrait de l’intervalle B-C.
Une « route stratégique » fut construite pour permettre l’acheminement d’artillerie de campagne par voie de terre. Cette route, très dégradée à l’heure actuelle, permet toujours de se rendre à Cap Diego en contournant par l’Ouest le Cul-de-sac Gallois.

Le front de terre dAnstiranana : la « Ligne Joffre »

Le front de terre d’Antsiranana était d’une importance capitale puisque c’est lui qui abritait la ville et toutes les installations logisitiques du point d’appui. Il fut défendu en conséquence.

Position avancée
Cette position aurait du être organisée au moment du besoin. Elle était située en avant de la ligne principale, à une distance variant entre 1300 et 1800 mètres. Elle barrait toute la largeur de la presqu’île d’Antsiranana et avait une bonne visibilité sur le terrain en avant.

Position principale
En vue de réduire le périmètre à défendre, elle fut maintenue dans la presqu’île même d’Antsiranana. Il n’était d’ailleurs pas possible de la pousser jusqu’au plateau des Caïmans, car elle aurait été coupée en deux par le ravin des Caïmans et placée sous le feu des hauteurs de Mahatsinjoarivo. Le point d’appui de l’aile gauche était un peu en saillant par suite de la nécessité de refuser l’aile droite parallèlement au plateau des Caïmans. La droite de la position aurait quant à elle été très bien flanquée par la batterie de 120 de Cap Diego positionnée au fort des Mapous . Deux ouvrages fortifiés type Sérré de Rivière occupaient les extrémités de ce front, appuyés par une batterie de 155 L .
- Le fort de la Betahitra (Ouvrage G). Comme pour les autres ouvrages de ce type pour les secteurs de Cap Diego et d’Antsiranana, l’ouvrage est à profils triangulaires ; l’obstacle est constitué d’une contrescarpe maçonnée coté front et d’une grille défensive coté gorge.
Il assure le flanquement à gauche de l’intervalle G-H au moyen de deux canons de 95 sous casemate de Bourges. Cette casemate n’est pas complètement masquée aux vues du plateau des Caïmans situé à 3 600 m, de sorte qu’une batterie placée sur ce plateau aurait pu en entreprendre la destruction ; mais cette batterie aurait été contrebattue par la batterie de 155 L placée en arrière du fort H, et par celle de 120 placée à la Pointe des Mapous, qui prend le plateau des Caïmans en enfilade. Le Fort G a des vues assez limitées sur son front et sur ses flancs ; il ne bat pas les pentes qui descendent du plateau d’Antsiranana vers la vallée de Betahitra, qui lui sont cachées par un saillant du plateau. Mais ces pentes étaient en revanche parfaitement couvertes par l’ouvrage d’Anosiravo.
Malgré les faiblesses apparentes de la position, ce fut la dernière à se rendre, sur ordre, le 7 mai 1942, après avoir stoppé pendant près de 48 heures l’avancée des britanniques.
- Le fort d’Anamakia (Ouvrage H). En tous points identique au Fort G, le Fort H assure le flanquement à droite de l’intervalle G-H au moyen de deux canons de 95 sous casemate de Bourges. L’ouvrage a des vues assez limitées sur son front et sur ces flancs ; il ne bat pas en particulier les pentes qui descendent de la Rivière des Caïmans, qui sont par contre sous les feux de la batterie de 155 L des Caïmans et de celle de 120 à la Pointe des Mapous.
- La batterie de 155 L des Caïmans
Construite en arrière du Fort H, cette batterie était destinée à battre la vallée et surtout le Plateau des Caïmans, position avantageuse pour l’artillerie de l’attaquant , mais prise d’enfilade par la batterie de la Pointe des Mapous à Cap Diego.
Les traverses de la batterie sont soutenues par des murs maçonnés qui ont été rendus nécessaires en raison de l’espace réduit disponible l’installation de cette position. Il n’était en effet pas possible de l’étendre vers la droite, la limite du plateau, ni vers la gauche, les pièces extrême n’auraient alors plus de vues sur le terrain à battre. Un magasin contigu à la batterie abritait cent coups par pièces.
Fort d’Anosiravo (Ouvrage F)
Cet ouvrage fait en quelque sorte partie du front de terre d’Antsiranana. Situé sur une position inexpugnable, il peut servir de point d’appui aux troupes mobiles débouchant sur la Montagne des Français sur les flancs d’un ennemi débarqué en baie de Rigny et s’avançant soit sur Antsiranana, soit sur Orangea. Il protège les communications entre ces deux secteurs par la route longeant les bords de mers. Enfin, il gênerait considérablement une attaque contre ces deux secteurs au moyen de ses deux canons de 75 de campagne.

Organisation des intervalles

Elle comprenait :
- une ligne de tranchées presque continue qui fut renforcée d’un fossé antichar en 1940,
- des plantations de cactus sous les couverts du terrain.

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Légende

= Abri à projecteur

= Poste optique

= Batterie (front de terre)

= Batterie (front de mer)

Batterie anti-aérienne

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= Magasin de secteur (front de terre)

= Magasin de secteur (front de mer)

= Station radio

= Aérodrome

= Champ de tir

= Phare

= Tranchées

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= Poste de garde

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